FOLIADINA
de TENORIO
"La nuit est fraiche et sans étoiles. Le vent souffle fort dans les ruelles désertes de Soutelo de Montes, la pluie déverse des torrents d'eau sur les pavés. Les volets des maisons sont fermés et les Hommes calfeutrés dans l'unique tarverne. Ce soir on improvise une Foliada pour se protéger du vent qui rend fou, de l'humidité qui ronge tout. Il faut plus que jamais se sentir vivant. Vivant et ensemble. La danse et la musique sont une nécessité. Il leur faut exulter la chaleur des corps, il faut rire, il faut boire. L'hiver sera trop rude sans cela.
Les danseurs de jota, jamais rassasiés de sauts et de danse, viennent de s'immobiliser en silence. Ceux qui d'habitude dansent encore lorsque leurs reins sont douloureux, ne flanchent pas quand la tête leur tourne, transpirent jusqu'à l'aube, s'arrêtent et écoutent.
Au fond de la salle, assis dans la pénombre, l'étranger sort son instrument. Quand sa bouche est sèche de mots, il commence a jouer. Son visage ridé se fige, ses yeux de ferment. Ses mains noueuses et nerveuses - qui savent manier la pioche - se délient alors et ses doigts osseux dansent sur le manche de son bouzouki.
.Un nouveau monde s'ouvre alors. Plus lumineux, plus chaud, lointain. On entend la rumeur calme de la mer, des cris joyeux d'enfants qui se mêlent aux aboiements plaintifs des chiens. Les murs chaulés sont éclatants, comme le linge immaculé qui séche sur les terrasses. Les figuiers sont chargés de fruits, amandiers en fleurs, partout le parfum de sauge, de sariette, de poisson grillé et de miel."
Judith Chomel / Carnet de voyage imaginaire avril 2020
La tambouille sonore
Pierre-Alexis Lavergne (musicien, arrangeur, réalisateur)
"C'est peut-être le morceau de l'album le plus actuel dans ses sonorités. Je vis avec des adolescents qui me font régulièrement découvrir des sons (nda : on ne dit plus "musique") et je dois dire que j'en apprécie la plupart. J'aime beaucoup la façon dont les créateurs de musique électronique de maintenant gèrent la cohabitation d'énergies dans les fréquences infrabasses et l'air qu'ils donnent à leur musique. La mélodie de la Foliada de Tenorio, s'y prête avec son rythme de Jota moins rapide et sa teinte nostalgique. Pour cet arrangement j'ai essayé de ne pas écrire de ligne de basse comme je l'aurait fait spontanément (en jouant sur un synthétiseur ou cherchant sur une basse) au lieu de cela j'ai utilisé un sample de kick de boîte à rythmes accordée avec une résonance assez longue.
l'imitation du son de cornemuse
En écoutant plusieurs versions de ce chant galicien, j'ai particulièrement apprécié celle où les voix sont accompagnées uniquement par des percussions et de la cornemuse. Cela a interpellé mon adn cantalou. J'ai essayé de retrouver cette sensation de bourdon et de notes continues avec des synthétiseurs, des sampleurs de cornemuse mais je n'ai pas été convaincu. J'ai trouvé un motif qui me plaisait mais pas le son. J'ai donc joué mon joker. J'ai proposé à notre collègue violoniste Thomas Morin (avec qui nous avons régulièrement fait des concerts) de jouer ce motif en accordant son violon d'une façon différente. Je lui ai demandé d'accorder 2 cordes avec la même note et une intervalle d'une octave. C'est une technique que j'ai découvert durant mon exploration de la musique klezmer avec le groupe Glik, en yiddish on appelle cette technique : Tsvey Strunen (ci-dessous un exemple par le légendaire violoniste klezmer Abe Schwartz) mais on peut la trouver dans d'autres cultures notamment orientales. D'où ce départ vers la Grèce au milieu du morceau.
les sources
La mélodie et les paroles de ce chant sont galiciennes nous les avons entendues pour la première fois pendant notre voyage en Galice, à la Pola Vila de Santalla d'Ozcos, la fête de danse et musique traditionnelle annuelle de ce petit village de 450 habitants. Chanté par le groupe de jeune amoureux du trad, De Ninghure dans une version accoustique mais arrangée de façon moderne avec guitare sèche et flûte traversière, elle nous a tout de suite attirée. Sa mélodie est envoutante, plaintive mais virevoltante, mélancolique mais chargée de l’énergie de l’orage. Ce fût notre première rencontre avec la danse traditionnelle. Là, sous cette grande tente blanche bourrée à craquer, une vingtaine de jeunes dansaient, leur pas précis et le visage altier, sautillant sans sourciller. Attirée par la musique, je fût sidérée par cette danse en ligne parallèle qui se fait et se défait à chaque mouvement musical, danse de couple sans se toucher, danse de groupe sans se regarder, sa fluidité, la précision m’ont retournée.
Un peu plus tard, dans une taverne du bourg bourrée à craquer elle aussi, une chorale reprenait ce chant, dans une version plus trad, voix, tambour et cornemuse
Sans se concerter, nous sommes toutes les deux tombées en amour de cette chanson, Judith a fait des pieds et des mains pour avoir le titre et pouvoir la retrouver une fois rentrées.
Les paroles justement, sont celles qu’on trouve souvent dans ce genre de chansons, elles mêlent la vie quotidienne, les chagrins d’amour, la musique et la danse qui sauve la vie.
La plupart de ces chansons ne racontent pas une histoire précise, des couplets entiers peuvent se retrouver dans des morceaux différents. C’est comme un patchwork qui s’assemble peu à peu. Comme dans la danse, où le premier danseur propose une figure, suivi par les autres, dans le chant, c’est un des chanteurs qui attaquent, propose un texte que poursuit le reste du groupe. Le chant et la danse restent donc des lieux d’expression et de créativité permanente.
Infos pointues...
...et néanmoins indispensables
Pauline Rivière / chant, pandereita
Judith Chomel / chant, pandereita
P-A Lavergne / bouzouki, guitare , claviers, programmation basse/batterie
invité(s) :
Thomas Morin / violon (accordée avec deux cordes doublées)
PAROLES
Carballeira de Tenorio,
heina de mandar cortare
cando vou pra Pontevedra,
quítame a vista do mare.
Ailalelo ailalalo
As de alá arriba cando van co gando
espeta a vara e bailan o tango
e bailan o tango e maila muiñeira,
as de alá arriba non hai quen as queira.
Ó gaiteiro de Soutelo
mal raio de dio-lo mate,
non quere toca-la gaita
sen que den chiculate.
ailalelo, ailalalo
Cando saín de Soutelo
os meus ollos eran fontes,
adiós montes de Soutelo,
adiós Soutelo de Montes
ailalelo, ailalalo
Carballeira de San Xusto,
Carballeira derramada
naquela carballeiriña,
perdín a miña navalla
ailalelo, ailalalo