Pierre-Alexis : Nous arrivons à la maison d'arrêt un mardi matin avec envie et appréhension à la fois. Nous avions déjà donné des concerts avec Radio Tutti en prison mais nous n'avions encore jamais mené un tel projet sur une durée de 6 jours. Sans idée précise du nombre nombre de participant.es ni de leur motivation, nous sommes accueillis par Dominique, coordinatrice culturelle pour le SPIP. Pour des raisons évidentes de sécurité, il faut passer maintes portiques, attendre le déverrouillage, cela nous paraît long mais cela deviendra une routine à laquelle on s’habitue . En amont, nous avions donné une longue liste de matériel pour faire de la musique, enregistrer des témoignages, réaliser le travail graphique. Nous avons 4 ordinateurs avec nous, les appareils électroniques sont particulièrement contrôlés. Il ne faut pas faire entrer de connexion à l'intérieur. Un surveillant est fin connaisseur et s'amuse à reconnaître les différents modèles. D'emblée le personnel de surveillance nous accueille chaleureusement. La maison d'arrêt de Bonneville est plutôt agréable, la réhabilitation a été faite avec des parements de bois, charpente en bois apparente dans une coursive au plafond vitré. cela procure un ambiance plutôt chaleureuse. Nous avons rendez-vous dans la salle polyvalente du centre. C'est une pièce de taille moyenne environ 30m2, un parquet au sol et des parements en bois sur les murs. On y trouve des tables des chaises, une petite scène éclairée par des projecteurs de théâtre, malheureusement il n'y a pas de fenêtre. On s'y sent plutôt bien. Nous y resterons enfermés sans possibilité de sortir durant la durée des ateliers. Il faut prévoir cet aspect technique. Les premières participantes arrivent. Elles sont 8 et paraissent enthousiastes. Nous leur avons emmenés des chouquettes. Prise de contact réussie. Nous faisons un tour de table pour apprendre à les connaitre, savoir si elle pratique un instrument de musique, du chant, ou si elles connaissent des musiques traditionnelles ou des langues étrangères.
Pour mener ce projet nous sommes 5. Pauline, Yoann et moi sur l'ensemble des 4 jours, Judith pour l'aspect graphique intervient une journée. Noé un jeune musicien qui est en service civique dans notre association est venu nous aider le premier jour. L'expérience et la rencontre lui a plu, il a finalement décidé de venir jusqu'au bout. Il nous sera d'une grande aide. Pour commencer nous leur apprenons un chant galicien et l'accompagnement de percussions qui va avec. Puis nous commençons le travail en petit groupe. Chaque intervenant se retrouve avec une ou deux personnes. Tout le monde travaille avec des casques sur les oreilles ce qui rend l'environnement sonore supportable. Yoann s'est installé un mini studio de radio et réalise des entretiens où elles se posent des questions entre elles. Pour leur permettre de s'amuser un peu, il leur propose également de faire des karaokés. C'est un succès. A quelques tables de là Noé leur montre le fonctionnement d'une boîte à rythmes et leur laisse expérimenter le beatmaking. Pauline les aide à poser des mots par écrit. Pour ma part, j'oscille entre ces 3 activités. 2 des participantes sont pianistes. Je leur branche un petit clavier numérique et leur laisse à disposition. Première surprise agréable, l'une des deux enregistre un morceau au casque incognito et elle nous livre un interprétation touchante de la "sonate au clair de lune" de Beethoven. La confiance semble établie. La seconde pianiste me lit un texte très touchant où elle se livre. Nous discutons un bon moment, je ne pose pas de questions sur le motif de son incarcération. Je comprends que cette personne a une vie complexe bien qu'elle soit très diplômée, instruite et sans problème d'argent. Elle n'a jamais parlé avec un psy avant. Je lui conseille évidemment de prendre ce temps pour elle, ici en prison. A ce moment là, je me dis que n'importe qui peut se retrouver en détention. Elle me livre aussi la pénibilité de cohabitation et les tensions personnelles entre détenues qui rendent la vie très pesante en cellule. Nous comprendrons par la suite que La cohabitation est peut être l'aspect le plus dur à supporter en milieu carcérale. Malheureusement, elle ne pourra pas aller au bout du projet car elle sera transférée vers un autre centre pénitentiaire le deuxième jour. Au cour d'un atelier, elle est appelée et hop on ne la reverra plus. On nous explique que les détenus ne sont pas prévenus à l'avance de leur déplacement pour des raisons de sécurité..."